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22/10/2015

Luc Ferry : un cas d'école

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Symptomatiques déclarations du philosophe de la droite libérale :


 

  

 

Luc Ferry interviewé* le 21/10 par le site e-marketing.fr (ça ne s'invente pas) : extraits de ses assertions, suivies de mes commentaires en rouge.

 

emarketing.fr : Qu'ont les Américains, que n'ont pas les Européens, qui favorise l'innovation et le progrès ?

Luc Ferry : Les Américains n'ont pas d'Ancien Régime. Nous, Européens, nous en sommes extirpés.[Impute-t-il vraiment à Louis XIV et Louis XV l'échec économique de l'UE ?]. De plus, en Europe, et particulièrement en France, nous sommes guidés par une culture chrétienne [non : le christianisme est minoritaire et ouvertement rejeté par les décideurs politico-économiques], qui plus est catholique [c'est encore pire ?], qui, sur les questions économiques, n'est probablement pas une référence de pertinence. Le catholicisme nous vend de la décroissance en toute bonne foi, oubliant que pour pouvoir partager les richesses, il faut commencer par les produire.[Ferry confond l'idée de prospérité avec l'utopie (récente et déclinante) de la croissance sans limites]. Dans toutes les grandes traditions spirituelles qui ont fait l'Occident, que ce soit chez les Grecs, les juifs ou les protestants, le scandale n'est pas la richesse mais la misère. [Elle l'est aussi chez les théologiens chrétiens : par exemple saint Augustin, que Ferry n'a pas lu]. Comme disait Aristote, "pour être généreux, il faut être riche". [Ferry ignore le casino financier et l'accaparement spéculatif par une infime minorité, que même des profs d'économie dénoncent aujourd'hui]. A contrario, dans la tradition catholique, la richesse est un obstacle à l'entrée au paradis, idée qui a encore guidé toute l'histoire du catholicisme social, qui a beaucoup marqué l'Europe. [Ne voyant pas ce qu'est le paradis, Ferry est mal placé pour nous dire comment on y entre].

Que pensez-vous de la récente intervention du gouvernement dans l'affaire Uber Pop ? Fallait-il suspendre ce service au risque de freiner, une fois de plus, l'innovation en France ?

Je comprends la détresse des taxis qui ont payé leur patente plus de 300 000 euros. J'admets aussi que l'on puisse assimiler Uber Pop à du travail au noir. Mais on ne va pas supprimer l'économie collaborative et interdire BlaBlaCar ou AirBnB, même s'ils nuisent aux taxis ou à l'hôtellerie traditionnelle ! Il faut comprendre que les emplois de travailleurs indépendants sont bel et bien des emplois et qu'ils concourent, à leur façon, à combattre le chômage. L'économie collaborative porte une autre forme de travail, bien différente du salariat. Alors, plutôt que d'interdire ces nouvelles formes de travail, mieux vaudrait les fiscaliser raisonnablement. Le statut de travailleur indépendant a le vent en poupe, ce n'est pas une mauvaise nouvelle en soi : il faut juste que la fiscalité s'adapte à cet état de fait. [Huit jours avant cet entretien, les salariés français d'UberPop se sont révoltés* contre leur employeur-prédateur. Mais M. Ferry ne le sait pas... Il préfère assimiler Uber à des entreprises fonctionnant sur d'autres bases et ne violant pas, quant à elles, le code du travail ; en attendant le TTIP transatlantique qui permettra à Uber de faire annuler une partie de ce code par un tribunal d'arbitrage privé. ]



► Les déclarations de M. Ferry sont une enfilade de slogans bas de gamme, que l'on s'étonne – tout de même – de trouver dans la bouche d'un double agrégé. Tout est irréel (ou surréaliste) dans ses affirmations : on les dirait sorties d'un site de polémique libérale.

► Mais la brouille entre ce double agrégé et les réalités n'est pas un fait nouveau : en 2004, lors du débat sur le voile islamique, le ministre Ferry avait affirmé l'existence d'une menace constituée par de jeunes chrétiens qui offensaient la laïcité, disait-il, en arborant « de grandes croix » dans les collèges et lycées de la République. « Grandes croix » imaginaires, inventées par prudence pour faire une symétrie avec les voiles... Ce qui n'empêchait pas les bons messieurs et les bonnes dames d'apprécier M. Ferry : n'était-il pas de droite ?

► Partagée par la gauche et la droite, l'idéologie de formatage libérale, produit de la société de marché, est en guerre contre toutes les réalités.

 

ps - Dans la mesure où elle est exacte (avec LF on peut tout craindre), la phrase d'Aristote semble normale dans la société antique qui reposait sur l'inégalitarisme le plus froid ; transposée  en 2015 par M. Ferry, elle devient ubuesque. Si l'ancien ministre connaissait des pauvres, il saurait que la générosité existe chez eux au moins autant, voire plus, que chez les riches qui font son admiration. Il peut demander au pape des informations dans ce domaine. 

 

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* Les chauffeurs révoltés contre Uber ne sont pas mus par l'obscurantisme catholique : leurs leaders ont des noms musulmans.

 

Commentaires

> Ferry, BHL... la philosophie germanopratine !
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Écrit par : Tangui / | 22/10/2015

> Ce n'est pas parce que le christianisme est minoritaire que la culture chrétienne ne continue pas d'influencer la société.
Beaucoup d'autres critères jouent et contre jouent sur la question de l'influence chrétienne.
Par ex. la théorie du big bang et la physique quantique influencent les scientifiques et créent des liens/ponts entre la société et la culture chrétienne qui s'en trouve renforcée.

Stevenson


[ PP à S.
- Je comprends que l'on souhaite mettre en lumière ce qui pourrait rester "catholique" dans les réflexes des habitants déchristianisés de l'Hexagone ; mais je ne partage pas cet optimisme. Le parfum du vase vide a fini par s'évaporer. La population est à évangéliser à zéro : c'est même le principe de la "nouvelle évangélisation".
- D'autre part, la légende du catholicisme méprisant cette terre pour ne penser qu'au ciel est une vieille lune du XIXe siècle, reprise au XXe par la droite libérale (cf. 'Le Mal français' d'Alain Peyrefitte) mais contraire aux faits de l'histoire...
- Il y a par ailleurs le dernier livre d'Emmanuel Todd, qui repose sur le concept de "catholiques zombies" ; Todd a de grands mérites mais ne connaît pas et ne comprend pas le catholicisme. ]

réponse au commentaire

Écrit par : stevenson / | 22/10/2015

INCOHÉRENCES

> Quel tissu d'incohérences que les propos de de M. Ferry !
Après avoir affirmé qu' "en Europe, et particulièrement en France, nous sommes guidés par une culture chrétienne, qui plus est catholique", il cite comme "grandes traditions spirituelles qui ont fait l'Occident" la tradition grecque, la tradition juive et la tradition protestante. En toute logique, l'Europe (et la France en particulier) ne fait donc pas partie de l'Occident, notion d'ailleurs floue.
"A contrario, dans la tradition catholique, la richesse est un obstacle à l'entrée au paradis", ajoute doctement M. Ferry, après avoir vanté l'apport des trois susnommées traditions. Les traditions catholique et protestante reposant sur les Evangiles (et il faut supposer que M. Ferry fait allusion au passage où Jésus évoque le chas d'une aiguille...), comment fondamentalement les opposer à ce sujet ? M. Ferry devrait, avant de jeter quelques clichés bien éculés, consulter quelques catholiques et quelques protestants.
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Écrit par : sven laval / | 22/10/2015

MÉCONNAISSANCE

> "pour être généreux, il faut être riche".
Luc Ferry a des qualités mais apparemment le défaut de méconnaître la Bible, avec notamment dans l'Ancien Testament l'épisode de la veuve qui fit un pain pour Elie avec sa dernière poignée de farine et le dernier fond de sa jarre d'huile; ou dans le nouveau testament la veuve louée par Jésus pour avoir mis 2 piécettes prises sur son indigence dans le tronc du Temple.
Pour être généreux, il est nécessaire d'avoir quelque chose, oui, mais pas nécessairement en abondance, à moins que M. Ferry n'ait voulu sous-entendre qu'il s'agisse de richesse du coeur.
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Écrit par : Franz / | 22/10/2015

AUCUN STATUT

> "statut de travailleur indépendant"
Comme énoncé le travailleur indépendant répond à un statut et que je sache les conducteurs d'Uber n'en avaient aucun.
Le seul statut qu'avaient les conducteurs était un engagement vis à vis d'Uber. Un contrat ne fait pas nécessairement un statut (ou alors il s'agit d'un sous-statut).
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"A contrario, dans la tradition catholique, la richesse est un obstacle à l'entrée au paradis"
Le groupe qui suivait Jésus ne semblait pas faire la mendicité, il devait donc dépendre de quelques riches mécènes, la richesse n'est obstacle que si elle est une fin (Le problème est le rapport de l'homme à l'objet : de quand possédant l'objet, l'homme devient possédé par l'objet). Il est vrai que les pauvres ne pouvant accumuler d'objets n'ont pas cette difficulté.

Franz

[ PP à F. - "Le Fils de l'homme n'a pas de lieu où poser sa tête..." Jésus a mené l'existence itinérante des prédicants antiques en Israël, qui n'était pas précisément l'opulence. ]
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Écrit par : franz / | 22/10/2015

HOAX

> La «phrase d'Aristote» est évidemment un hoax, d'ailleurs parfaitement révélateur de la manière dont LF utilise son statut de philosophe pour conforter la doxa.
Ce que dit Aristote, il le dit à propos d'une vertu particulière, la magnificence, qui consiste à faire de grandes libéralités — des dons «magnifiques» pour édifier des temples aux dieux, par exemple, ou pour servir l'intérêt public, comme armer une trirème ou offrir un banquet civique. Par définition, pour être «magnifique» en ce sens-là, il faut être riche…
Mais Aristote dit aussi:
1) que la magnificence peut consister aussi à offrir ce qu'il y a de plus beau dans un genre particulier, par exemple, offrir à un enfant «la plus jolie balle à jouer» — et ce ne sera pas forcément alors une grande dépense…
2) surtout, il dit que, si la magnificence est l'apanage de ceux qui ont plus de richesse, en revanche il est une vertu qui est accessible à tous, et qui est toujours admirable, c'est … la libéralité: le «libéral», au sens noble et originel du mot, est celui qui donne volontiers, avec plaisir, à qui il convient, de la façon qui convient.
Et d'ajouter: «Le caractère libéral d'un don ne dépend pas de son montant, mais de la façon de donner du donateur — et celle est fonction de ses ressources. Rien n'empêche donc que celui qui donne moins soit cependant plus libéral, s'il dispose de moyens plus modestes…» ((Ethique à Nicomaque, IV, 2, trad. Tricot).
Tout cela, sans doute, ne paraît pas d'une originalité folle, mais du moins fallait-il venger l'honneur d'Aristote. Et, en passant, rappeler qu'il y a une bonne manière, antique et précieuse, d'être «libéral» !
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Écrit par : Philarête / | 23/10/2015

VIEUX MYTHES

> Avec la croissance des inégalités, les vieux mythes des riches connaissent un nouvel engouement. En particulier l'idée que seuls les riches sont généreux. On a toujours su que c'était faux, la Bible en témoigne. Parce qu'ils font une fois un gros chèque, qui ne représente pas grand chose par rapport à ce qu'ils ont volé au fisc, ils ont l'impression de dépasser l'abbé Pierre.
C'est aujourd'hui tellement contraire à la réalité quotidienne que c'est extrêmement pénible à entendre de la part de quelqu'un qui se dit philosophe. En notre époque de relativisme, qui se soucie encore de la réalité ?
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Écrit par : Guadet / | 23/10/2015

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